Pauline Durey de Noinville a grandi en France.

Depuis 1861 elle ne grandit plus.

 

Œuvre

    • Notes
    • Premiers paragraphes
    • L'émigration
    • Aix-la-Chapelle
    • Être enceinte
    • Les ressources
    • Madame Récamier
    •  
    • Publication / Vente

    Notes

    Souvenirs d'une femme, aristocrate, adolescente au moment de la Révolution, et qui a dû fuir la France, avec sa famille, pour se rendre en Allemagne et ailleurs. À l'époque ce n'est pas encore l'Allemagne, mais entre autres noms ; Saint-Empire romain de la nation teutonique. Des pays ont des noms comme ça.

    L'éditeur

    PREMIERS PARAGRAPHES

    Je marche à grands pas vers ma quatre-vingt-quatrième année, je dois donc m’attendre chaque jour à être rappelée de cette terre pour un monde meilleur et je travaille à m’en rendre digne.
        Entourée d’une famille, hélas trop décimée, je reste seule de ma génération. J’ai dû me rendre aux instances de mes neveux, et nièces, qui m’environnent de leurs soins, pour leur laisser des souvenirs de ma longue carrière traversée de tant d’événements et d’épreuves ; mais on y reconnaîtra toujours, en même temps, le doigt de la Providence, qui, dans nos malheurs, nous a toujours ménagé les secours et les consolations de son amitié et qui, à moi, dans mes vieux jours, m’a donné la santé dont je n’ai jamais joui et m’accorde une heureuse aisance dont je n’avais point connu les douceurs pendant toute une vie de privations. Ces bienfaits méritent toute ma reconnaissance et de continuelles actions de grâce.
        Ma famille est originaire de Bourgogne : mon grand-père, le président Durey de Noinville, était membre du Parlement et de l’Académie de Dijon et a fait plusieurs ouvrages. Il épousa en 1735 Mlle de Simiane, issue d’une des premières familles du Dauphiné. Elle avait de la beauté, dix-huit ans et dix-huit mille livres de rente, et lui avait cinquante-trois ans.
        Il eut deux enfants, mon père et une fille ; elle fut mariée au marquis de Bonvoux de Prulay qui la laissa au bout d’un an avec une fille qui devint la comtesse de la Rochelambert. Mme de Prulay épousa en secondes noces le marquis de Bourneville, son cousin germain dont elle n’eut pas d’enfants.
        À l’âge de treize ans mon père fut engagé dans la carrière des armes et fit toute la guerre de sept ans sous les ordres du comte de Caraman.
        Après ces campagnes, mon père, âgé de vingt ans à peine, rentrait dans la maison paternelle : il trouva son père le nez sur un livre et ne voulant pas l’en distraire, il en présenta un autre à son fils en lui disant : « Bien je suis aise de vous voir ; avez-vous lu M. Gobe-mouche ? » Sur ce ma mère arriva et se trouva mal de joie, ce qui dépeint assez la différence des caractères.
        Ma grand-mère fut une des femmes les plus spirituelles de son temps. Les lettres qu’elle a laissées en font foi. Malheureusement elles ont été brûlées pendant la Révolution avec tout notre mobilier.
        Après des pertes successives qui avaient diminué l’aisance de ce ménage, une circonstance favorable lui rendit de la fortune : après la mort de mon grand-père, son neveu, le marquis du Terrail fit à mon père un legs de cinq-cent-mille francs, représentés par de beaux biens ruraux tant en Dauphiné qu’en Auvergne et en Champagne ; ces biens étaient attribués à son fils aîné, s’il se mariait, ou à sa fille aînée à défaut de garçon à la condition que celui ou celle qui en hériterait prendrait le nom de Terrail que mon frère aîné a porté jusqu’à la Révolution.

    ...

    L'ÉMIGRATION — page 23

    Au début de l’émigration, on quittait la France et ses foyers sans aucun souci, tant on était persuadé que cet état des choses ne pouvait pas durer et qu’on rentrerait bientôt chez soi. Nous ne vîmes donc pas trace d’inquiétude chez nos parents. Quant à ma sœur Joséphine et moi, à onze et treize ans, nous étions ravies et bien plus encore en nous retrouvant en famille dans le charmant séjour de Wilhelmsbad, qui mérite que j’en fasse la description.
        Auparavant je dirai quelques mots de notre voyage qui se fit à petites journées avec nos chevaux. Nous passâmes par Nancy et gagnâmes promptement l’Allemagne. Je ne sais par quel hasard un certain baron de Basnheim qui avait connu mes parents à Coblentz, fut averti de notre passage. Aussitôt que nous fûmes arrivés dans sa résidence, son équipage à quatre chevaux, avec son coureur tenant une torche à la main, se trouvèrent à la porte de l’hôtel avec une invitation pour souper sans toilette. Ce début nous parut charmant. Nous visitâmes la belle ville de Mannheim, Heidelberg et Mayence ; de là Francfort, ville où sont sacrés les empereurs. Bientôt nous fûmes tendrement reçus par notre famille presque entièrement transplantée sur le sol allemand. Mon frère Joseph seul était resté à Paris au collège d’Harcourt avec un précepteur. Je parlerai plus tard de son retour parmi nous. Tout l’établissement de Wilhelmsbad consistait en quatre pavillons réunis par un grand corps de bâtiment qui servait de salle de bal et de salon de concert, où se réunissaient le mercredi la noblesse du pays et mieux encore la cour de Hesse, et nombre de princes allemands. Une immense salle de bal se transformait ensuite en salle à manger et l’on dressait des tables pour souper ; j’y ai vu plus de cent convives. Une estrade était dominante pour les musiciens qui se contentaient de pain avec du sel pourvu qu’il fût bien arrosé de vin. Nos logements étaient assez passables, les prix étaient écrits sur les portes. Le Landgrave, à qui appartenait ces lieux et auquel on rendait compte des moindres côtelettes qui se mangeaient, fit aux émigrés la galanterie de mettre à moitié prix logement et nourriture. Et pourtant c’était encore bien cher, car ma famille et Mme de Choiseul et plus tard ma tante de Bourneville, qui occupaient deux pavillons, payaient vingt-deux louis par mois. Nous dînions de la cuisine allemande, mais le souper était fait par le cuisinier de mon grand-père qu’il avait amené.
         L’hiver de 1790 à 1791 se passa ainsi, en famille, très agréablement. Nous nous réunissions le soir ; mon oncle nous lisait des tragédies ou autres choses intéressantes ; nos parents dans la journée s’occupaient de notre éducation. Le dessin, pour ma part, tenait une grande place. Un atelier, à la tête duquel était mon oncle, rassemblait les trois cousines et Alphonse. Chacun exposait ses ouvrages et l’émulation était grande. Je n’intéresserais personne en parlant d’un certain jeune homme de dix-neuf ans, déjà admirable pour le dessin et la peinture et qui, par ses charmantes compositions spontanées, nous a fait passer des soirées délicieuses. De là est venue ma passion pour cet art que je n’ai pas négligé jusqu’à l’âge de quatre-vingts ans. Cet artiste mort trop jeune s’appelait Ströebing.
         Dans les deux étés suivants, je dois avouer que nous fûmes moins assidues au travail et que nous avions beaucoup de distractions. Chaque matin nous étions réveillées par les sons d’une excellente musique, comme les Allemands savent la faire. Des rangées d’orangers en fleurs embaumaient nos fenêtres, de superbes jardins nous offraient une jolie promenade.
        Dans ce même jardin se voyait une tour (simulée ruine) et dont l’intérieur renfermait des objets d’art très précieux. Elle était le lieu de plaisance du landgrave de Hesse. Sa femme, princesse de Danemark, habitait un château voisin avec ses deux filles ; les princesses Frédérique et Caroline, qui étaient très bonnes pour nous, et voulaient bien nous admettre dans leur cercle malgré notre jeune âge.
         À Hanau, ville voisine, résidait la landgrave douairière, princesse de Prusse, femme d’une rare beauté qui recevait mes parents à dîner. Quant à nous, elle ne nous invitait qu’à goûter avec la petite princesse de Wurtemberg, âgée de neuf ans, qui est devenue reine de Westphalie par son mariage avec Jérôme Bonaparte. Le mercredi, nous étions admises à la réunion de danse ou aux concerts de la cour et le dimanche, les voitures de Francfort et des environs amenaient beaucoup d’étrangers ; ce qui rendait Wilhelmsbad très brillant. Parfois une anglaise ou une valse nous étaient accordées. Pourtant ma sœur s’en sevra tout à fait dans l’été de 1792, année où elle fit sa première communion, le jour de la Saint-Louis.

    AIX-LA-CHAPELLE — page 40

    Notre voyage si long et si difficile s’avançait. Aix-la-Chapelle fut, après Düsseldorf, notre premier arrêt. Cette ville nous a intéressés pendant le peu de temps que nous y restâmes, y ayant passé le Rhin en bac, nous découvrîmes de là la jolie ville de Neuss et quelques villages qui forment un charmant point de vue.
        Ayant changé de chevaux dans la nuit, nous étions à quatre heures du matin à Juliers, petite ville un peu fortifiée et assez jolie. L’armée française républicaine est venue jusque sous ses murs et y a perdu beaucoup de monde.
        Aix-la-Chapelle est une ville assez belle et renommée par ses eaux chaudes et sulfureuses, qui ont la réputation pour les douleurs rhumatismales. Aussi, dans l’été, les étrangers y abondent et y déploient un grand luxe. Les émigrés français mêmes ne se livraient que trop à la passion des jeux. Avant de quitter Aix-la-Chapelle, je rendrai hommage à ce qu’elle renferme de curieux. Autrefois résidence de Charlemagne, Aix-?la-?Chapelle est restée la première ville impériale. La religion catholique y a seule un exercice public. On y conserve les joyaux et ornements employés au couronnement des empereurs, cette ville ayant autrefois ce privilège, on y voit le livre des évangiles qui a servi pendant des siècles ; la capsule d’or renfermant un peu de la terre qui fut arrosée du sang des premiers martyrs ; saint Étienne ; la couronne et l’épée de Charlemagne. Il s’est conclu dans cette ville deux fameux traités de paix ; l’un en 1668 entre la France et l’Espagne, l’autre en 1748 entre la France et l’Espagne d’une part et la maison d’Autriche, l’Angleterre, la Hollande, et la Sardaigne de l’autre.
        Que dire de toutes les antiquités précieuses de cette ville ? Le temps nous manqua pour tout voir. Pourtant nous avons visité la cathédrale où les empereurs prononcent leur serment. Elle est d’une forme antique et bizarre. Autour du chœur, soutenu par des colonnes, sont des galeries à plusieurs étages où sont placés des autels. Le saint sacrifice de la messe s’y célèbre. On garde dans cette église des instruments de la Passion du Sauveur et des reliques de la plus haute antiquité connue ; les chasubles, avec lesquelles les premiers fidèles célébraient la messe. Enfin nous y vîmes des vêtements que Charlemagne avait portés. On y conserve aussi son trône et son tombeau. Au-dessus du grand autel sont suspendus les draps mortuaires de Louis XIV et Louis XV, en vertu du privilège qu’a la ville de recevoir ceux des rois de France et d’exposer ses deux derniers morts. Hélas ! celui du malheureux Louis XVI devrait aussi aujourd’hui y figurer, mais la haine révolutionnaire qui l’a enlevé à l’amour de ses peuples a privé la ville de cette précieuse relique.
        Nous restâmes peu de temps à Aix-la-Chapelle ; déjà bien fatiguées de la longueur de notre voyage et pressée de nous rendre près de mon oncle qui nous attendait à Liège. Nous y arrivâmes le 25 juillet 1793. Mme de Choiseul nous y reçut avec une grande amabilité et nous installa chez elle dans un appartement au rez-de-chaussée qui nous plut et nous convint fort.

     

    ÊTRE ENCEINTE — La famille est à Spa, près de Lièges — page 43

    La passion du jeu entraîne à Spa beaucoup de jeunes gens et rien n’est choquant comme l’avidité qui règne autour des tables de jeu où j’ai vu rouler des masses d’or. Elles en sont couvertes toutes les nuits, et combien de mes compatriotes laissaient là leur dernier écu ! Le banquier se plaignait de n’avoir gagné l’année dernière que cinquante-quatre mille louis.
         Ne pouvant tout voir en un jour, nous couchâmes à Spa, et le lendemain nous nous dirigeâmes vers les différentes fontaines qui environnent la ville et qui sont attribuées à diverses maladies. On visite les fontaines de la Géronstère et de la Sauvenière, les eaux sont ferrugineuses et d’une odeur désagréable. Des bâtiments voisins reçoivent les malades et ceux aussi qui viennent à Spa pour s’amuser et pour satisfaire leur passion du jeu. De retour de notre promenade nous allâmes voir le Waux-hall du matin, où les toilettes sont plus négligées, mais qui ressemble assez à celui du soir. Un bâtiment voisin réunit tous ceux qui veulent trouver un déjeuner copieux et délicat. Viennent ensuite les cavalcades, où hommes et femmes font assaut d’élégance, puis on rentre pour vaquer aux toilettes. C’est à qui se surpassera. Et à ce propos, j’ose à peine citer ce que je vis à Spa dans un magasin… La mode de ce temps était de simuler un ventre. Il est probable que cela vienne du privilège que, dans le règne de la Terreur, les femmes grosses avaient été épargnées. Toutefois nous vîmes dans cette boutique nombre de ventres en fer blanc, ouatés et couverts de taffetas blanc. J’ai vu même une jeune et jolie personne marchander un ventre de trois mois. Il y en avait de six et neuf mois.

    LES RESSOURCES — La famille est à Brême, depuis quelques jours et l'argent manque pour le loyer. — page 58

    À la fin de notre bail ruineux, on chercha un logement plus modeste, mais les Brêmois, peu sensibles à nos malheurs, rançonnaient tant qu’ils pouvaient les émigrés qui avaient bien de la peine au moment de l’échéance à payer le prix convenu. Nous étions parvenus à baragouiner un peu d’allemand. Ma sœur, reconnue plus persuasive, était députée auprès des hôtes pour chercher à les attendrir et demander du délai. Enfin, les bourses se vidant sans se remplir, on sentit la nécessité de tirer parti de quelque industrie. Mon oncle en avait beaucoup, mais encore fallait-il savoir que faire.
         La bonne Providence, qui ne nous a jamais abandonnés, nous envoya, avec quelque argent de mon grand-père, un Parisien qui nous dit que dans la capitale les fleurs en paille étaient fort en vogue. Bien vite, mon oncle fit des essais, et bientôt des fleurs en paille et en satin sortirent de ses doigts. Il nous initia promptement à son talent et les rôles furent distribués.
         Il fallait avant blanchir au souffre les plus beaux tuyaux de paille. Il imagina le moyen de les ouvrir sans les casser, puis on les collait sur une gaze, et on en formait comme un morceau d’or ou d’argent, tant cela devenait brillant. Puis on en découpait feuilles et fleurs qui, mêlées avec du satin, formaient bouquets et guirlandes. Enfin, après les fleurs, des plumes flexibles furent inventées ; mon oncle fabriquait lui-même les outils nécessaires. Ce commerce eut grand succès. On s’aboucha avec un grand marchand de mode de Hambourg. Même une caisse partit pour Philadelphie, mais nous étions peu payés. En Angleterre, ces objets se seraient bien mieux vendus. Les Brêmoises rendaient justice à notre talent, mais elles ne voulaient pas le payer. Plusieurs fois, une servante chargée de solder un petit compte nous marchanda et comme enfin nous ne voulions pas céder, elle exhibait avec regret et lentement la somme voulue.
        [...]
         La vie, et surtout les logements étaient chers à Brême. Nous y vivions aussi modestement que possible, mais notre plaie, c’étaient les domestiques venus avec nous de France. Nous leur devions des gages arriérés ; ils les réclamaient souvent insolemment et nous ne pouvions pas les satisfaire, nous les gardions. Que n’en avons-nous pas souffert.
         Notre travail était des plus assidus. De bon matin, nous étions à l’ouvrage et, sauf le moment des repas, l’atelier ne se reposait pas. Ce n’en était pas plus sain pour nous. À dix-huit ans, on a besoin d’exercice, et j’ai souvent pensé que nos santés avaient souffert de cette assiduité et d’une trop grande réclusion. Tout s’use. Nous voyions avec peine que notre commerce de paille se ralentissait, que les commandes s’éloignaient… Le Ciel y pourvut ; ce fut encore un voyageur chargé pour nous d’une commission qui vint nous ouvrir une nouvelle ressource. Les premiers frais ne devaient pas être coûteux : du papier, de la soie. Il nous montra qu’avec cela on pouvait faire de très jolies choses. De bandes étroites de papier, on faisait un rouleau serré et solide, on le garnissait de soie et il servait à faire une espèce de broderie qu’on collait sur du satin.
         Des corbeilles, sacs à ouvrage ou coffres pouvaient ainsi se décorer. Mon oncle, si intelligent, comprit aussitôt la chose ; l’exécution suivit l’invention. C’était à qui émettrait un nouveau dessin, un ornement de gracieuse composition. Bref, la paille se trouvait remplacée par le papier, et nous finîmes par arriver à la perfection de notre travail. Les succès qu’il eut excitèrent souvent l’envie, et je sais que dans les visites que nous faisaient quelques-uns de nos compatriotes, on examinait nos doigts pour examiner notre méthode, mais personne n’y parvint.
         Il me faut retourner un peu en arrière pour citer une circonstance que ma reconnaissance envers la Providence m’a toujours rappelée. C’était au meilleur moment de notre commerce de fleurs de paille, notre détresse était alors extrême. Nous n’avions pas ce jour-là un grot en notre possession (monnaie du pays). Arrive une lettre de France, il fallait payer le port et nous dûmes aller chez de bonnes voisines emprunter la somme d’un franc, disant que nous manquions de monnaie. Je voyais les larmes tomber des yeux de ma mère quand s’arrête à notre porte un charmant équipage. Un monsieur, vêtu d’une doublette de taffetas puce*, vêtement qui nous parut splendide, en descend et, avec les manières les plus distinguées et d’un ton très respectueux, nous dit qu’il a entendu parler de dames françaises qui faisaient de charmants ouvrages, et qu’il désirait en voir et en acheter. Nous le faisons passer dans la pièce voisine où, sur des cordes, étaient exposés bouquets et guirlandes dans toute leur fraîcheur. Il en choisit plusieurs et dépose deux louis d’or dont la vue nous éblouit. Il y avait longtemps que nous n’avions vu de ce métal. L’étranger, en même temps, y joint une carte de visite sur laquelle nous lisons « le baron de Brandenbarck », et il se retira avec de profondes salutations. Deux louis dans la maison ! Quelle fortune ! Notre impression était vive et aussi notre gratitude envers la Providence. Nous nous jetâmes à genou pour la remercier puis dans les bras de ma mère qui étouffait de larmes. Cette petite anecdote n’est jamais sortie de la mémoire du cœur.
    * « 13 novembre 1775. Cet été, la Reine ayant choisi une robe de taffetas d’une couleur rembrunie, le Roi dit en riant : « C’est couleur de puce », et à l’instant à la cour toutes les femmes voulurent avoir des taffetas puces. La manie passa aux hommes : les teinturiers furent occupés à travailler des nuances nouvelles. On distingua entre la vieille et la jeune puce, et l’on sous-divisa même la nuance du corps de cet insecte : le ventre, le dos, la cuisse, la tête se différencièrent. Cette couleur dominante semblait devoir être celle de l’hiver. » Louis Petit de Bachaumont, Mémoires historiques, littéraires et critiques, extraits des Mémoires secrets de la république des lettres depuis les années 1762 jusques 1788, Léopold Collin, Paris, 1808, p. 275.

    RETOUR EN FRANCE — page 89

    Je dirai un mot maintenant de l’état de la religion en France. Quand nous y arrivâmes, en 1800, toutes les églises étaient fermées. On lisait sur les portes des temples : « Le peuple français reconnaît l’être suprême et l’immortalité de l’âme. » Les prêtres se cachaient encore, ce ne fut que l’année suivante que, le Concordat, donné par Pie VI, fit rouvrir les églises. J’ai entendu la messe assez longtemps dans une chambre ; une dame pieuse avait prêté une pièce de sa maison pour y dresser un autel et un confessionnal. L’église Saint-Roch fut ouverte une des premières. Le jour de Pâques 1802, la grand-messe s’y célébra solennellement. L’affluence y était d’autant plus grande qu’on savait que la belle Mme Récamier devait y quêter. Nous nous trouvions à cette cérémonie qui avait un grand intérêt pour les âmes pieuses, mais qui occupait un bien plus grand nombre de curieux. Aussi était-on affligé et scandalisé de voir avec quel empressement la foule suivait, en courant de chaise en chaise, la belle quêteuse très décemment vêtue et n’ayant sur la tête qu’une pointe de limon nouée par devant avec un cercle d’or dans les cheveux. M. de Thiare lui donnait la main. Un homme âgé, ravi de la beauté de Mme Récamier, mit une pièce d’or dans la bourse en disant :
    — Pour vos beaux yeux !
    — Pour les pauvres à présent ! répliqua-t-elle, en lui présentant la bourse. Il fallut bien qu’il doublât son offrande.

    Tiré à 100 exemplaires, à 12€.

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